Mohamed Ali (1896-1926) et Tahar El Haddad (1899-1935)
Mohamed Ali est considéré comme le père du syndicalisme national en Tunisie ; célibataire, ce serait plutôt le frère aîné. Tahar El Haddad est la figure tutélaire d’intellectuel musulman progressiste de langue arabe. Leurs itinéraires se croisent dans la première Confédération générale tunisienne du travail (CGTT).
Commune origine familiale en milieu déshérité du Sud tunisien à El Hamma de Gabès ; Mohamed Ali y est né avant de suivre son père à Tunis, et très jeune, il va travailler au consulat d’Autriche aux côtés de son frère, pour devenir chauffeur du consul. Son métier sera par qualification : chauffeur-mécanicien.
Tahar El Haddad est né à Tunis, mais dans une famille de migrants gabésiens qui lui permet de passer de l’école coranique à la Grande mosquée El Zitouna en 1911 ; il en sort diplômé en 1923.
En 1911, Mohamed Ali accompagne comme chauffeur Anouar Pacha, dignitaire ottoman dépêché de Tunis en Tripolitaine auprès de la résistance turque à l’offensive italienne. Il entre dans la mouvance ottomane et se retrouve en Turquie pendant la guerre dans le milieu des militaires Jeunes Turcs et dans l’entourage d’Enver Pacha. Le général Jeune turc vient du front tripolitain et part à la recherche d’un soutien armé auprès de la révolution bolchevique avant de mourir dans le camp adverse. Les Tunisiens partisans des Turcs trouvent appui auprès des alliés allemands. C’est à Berlin que s’active Ali Bach Hamba, le banni (1911) du mouvement Jeune tunisien qui lance La revue du Maghreb.
En 1921, Mohamed Ali est à Berlin où il anime la confédération des étudiants arabes en Allemagne (El Arabia). Il est inscrit à l’Université mais en est renvoyé pour « insuffisance de travail » ; ce qui ne l’empêchera pas, quand il rentrera à Tunis en 1922-1923 et finalement en mars 1924, de passer pour docteur en économie politique. Il loge alors chez sa sœur en milieu gabésien et entreprend une campagne pour le développement du mouvement coopératif. On connaît ses idées par Tahar El Haddad qui rapporte une conférence faite à l’association la Khaldounia. Les coopératives doivent permettre d’échapper à la spéculation et à l’exploitation. On reconnaît là un leitmotiv des socialismes débutants dans l’Europe du xixe siècle et dans le monde arabe des années 1920. Une « coopérative commerciale pour l’achat et la vente de produits alimentaires » est ainsi créée. C’est cette réputation de savant et de propagandiste des coopératives ouvrières qui suscite l’appel des dockers en grève en juillet 1924. Mohamed Ali passe du rôle d’animateur du comité d’action et de soutien qui double le comité de grève, à la direction de la CGTT fondée face à l’Union des syndicats CGT, le 3 septembre 1924.
Arrêté au début de février, il sera condamné en décembre 1925 – avec trois autres gabésiens sur les cinq Tunisiens à la direction de la CGTT – par le tribunal d’Alger qui juge « le complot » contre le Protectorat français de Tunisie. C’est Tahar El Haddad qui avec d’autres anciens de la Zitouna, a participé activement à cette première expérience de syndicalisme national, qui dresse l’historique de la CGTT en reconstituant presque immédiatement les faits et gestes de Mohamed Ali dans son livre de près de 200 pages publié en 1927 à l’imprimerie El Arab de Tunis : Al Oummâl al-toûnissiyyoun wa dhoubour al-’harakah al-niqâbiyyah (« Les travailleurs tunisiens et la naissance du mouvement syndical »).
Redevenu chauffeur-mécanicien, Mohamed Ali vit au Caire. Chauffeur d’un pacha, il aurait refusé de conduire l’Ambassadeur de France. Pour le compte d’une entreprise de louage de voitures, il trouve la mort le 10 mai 1928 dans un accident d’automobile survenu entre Djedda et La Mecque.
Après avoir soulevé la polémique et les protestations des gens de mosquée pour son deuxième livre publié en 1930 : Imra’atouna Fî’l-shariah wa’l-moujtama’ (« La femme tunisienne dans la législation religieuse et dans la société »), Tahar El Haddad meurt de tuberculose en décembre 1935.